La création et les droits culturels
Compte rendu de la matinée de travail « La création et les droits culturels » organisée par les Forces Musicales avec les acteurs du programme Paideia. Le jeudi 14 juillet 2016, Avignon.
INTRODUCTION
# Alain Surrans : pourquoi cet atelier « la création et les droits culturels » ?
Cet atelier ouvre le débat sur les responsabilités des institutions « publiques ». Les droits culturels permettent d’échanger sur ce que pourrait être une institution de spectacle exprimant un désir de s’adresser directement à tous.
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# Christelle Blouët : la démarche « Paideia », qu’est-ce que c’est ?
« Paideia » (éducation en grec ancien), est une démarche d’observation et d’évaluation des politiques publiques au regard des droits culturels. Cette démarche porte l’enjeu de la traduction opérationnelle des droits culturels dans les pratiques et de la valeur ajoutée de cette traduction en termes de démocratie.
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# Christelle Blouët : travailler sur différentes postures d’acteurs face aux droits culturels
Ce sont des postures auxquelles nous avons pu et pouvons être confrontés dans le cadre de la démarche Paideia mais aussi dans les nombreux débats publics autour de l’inscription des droits culturels dans la Loi NOTRe et dans la Loi CAP.
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TRAVAIL SUR LES POSTURES D’ACTEURS FACE AUX DROITS CULTURELS
# Les 6 postures proposées :
1. « Le modèle Républicain » : les droits culturels vont à l’encontre du modèle Républicain et risquent de légitimer l’action des groupes de pression communautaires en limitant notamment la liberté de programmation voire la liberté d’expression.
2. « La question des droits » : les droits culturels posent la question culturelle en termes juridiques alors que ce n’est pas du « droit opposable », je ne vois pas ce que la question du droit apporte.
3. « On fait déjà » : les droits culturels sont une nouvelle mode qui ne fait que nommer différemment des postures et façons de concevoir l’action culturelle déjà existante et en acte sur les territoires.
4. « Le futur des politiques publiques » : les droits culturels sont un outil nécessaire pour faire évoluer le débat sur les politiques culturelles et plus globalement la dimension culturelle des politiques publiques. Ils permettent de réinterroger les façons de faire et contribuent au développement d’actions culturelles démocratiques.
5. « Nivellement par le bas » : si tout est culture, plus rien n’est culture, les droits culturels risquent de minimiser l’apport d’expertise et d’abaisser le niveau en considérant tout et tout le monde comme légitime.
6. « Trop conceptuel » : les droits culturels sont intéressants mais difficiles à s’approprier. Je vois difficilement comment les mettre en œuvre concrètement…
# Positionnement :
Posture 2 :
– En tant que juristes, nous pouvons nous interroger sur les implications concrètes de la notion de « droits » culturels ? Quelles obligations les droits culturels entrainent-ils pour les établissements culturels et pour les collectivités publiques ?
Posture 1 :
– L’offre culturelle est une « offre », si nous indexons l’accès à la culture sur les besoins tels qu’ils sont exprimés par les gens, nous tombons dans le nivellement par le bas. Cela s’oppose aux principes républicains.
– De quel modèle républicain parle-t-on ? La 5ème République, la 6ème ? Qu’entendons-nous par « modèle républicain » pour qu’il y ait une telle réserve sur les droits culturels ?
Posture 6 :
– Dans nos pratiques la notion de « droits culturels » est séduisante intellectuellement puisqu’elle va nous interroger sur la prise en compte de la personne. Mais cela vient se heurter à la question du nombre, à celle de devoir remplir les salles, à celle de programmer des choses qui réunissent des gens. Comment traduire cette notion d’individualité, de singularité par rapport à la logique très collective qui est celle du spectacle vivant ?
Posture 5 :
– La notion d’ « égalité en dignité de toutes les pratiques » vient se heurter aux formations longues et au vécu de compétition des musiciens travaillant dans les institutions.
– Les droits culturels questionnent : comment nous pouvons éviter d’établir des « niveaux » (de poser le problème en termes de « nivellement par le bas ») pour aller vers la compréhension de l’ « autre » ?
– L’opposition entre une logique verticale et une logique horizontale doit être dépassée. La prise en compte des « trajectoires » permet de sortir de cette impasse dans laquelle nous sommes toujours embourbés. L’expression « artistique ET culturel » résume cette impasse : ce « et » est la marque d’un impensé. Un travail critique est nécessaire sur le point de vue faisant des droits culturels le vecteur du nivellement par le bas.
Posture 3 :
– Nous avons fait énormément pour la démocratisation culturelle par une multitude d’actions culturelles où l’œuvre est portée vers la personne, où le lien entre l’œuvre et la personne est renoué. Par provocation : que nous demander de plus ?
– Nous manquons d’élévation et de matériaux pour contre-argumenter face aux expressions telles que « on a déjà beaucoup fait », « on fait déjà », « on a les outils », « on a déjà expérimenté » etc. Pour être efficace à la tête des réseaux, il nous faut développer les capacités à « mesurer » ce qui est fait et développer les argumentaires sur ce qu’impliquent les droits culturels.
– Les choses sont en marche : certains départements sont engagés dans la démarche Paideia. Les travaux en cours nécessitent la formation des acteurs (y compris des élus) et le développement des analyses de pratiques au regard des droits culturels. Pour être pertinent, ce travail est à mener en transversalité à toutes les politiques publiques d’une collectivité.
– Il faudrait que nous arrivions, par ce type d’atelier, à dépasser ces différentes postures. A travers ce « on fait déjà », nous pouvons nous demander pourquoi, dans ce pays, nous avons tant de mal avec cette notion de « droits culturels » et la manière de l’incarner ? Pourquoi est-il si difficile de questionner les formes de dominations culturelles exercées ?
Posture 4 :
– Les droits culturels sont un levier pour questionner la place et le rôle que chaque individu peut tenir dans les politiques publiques.
– Les droits culturels relèvent d’une question d’« être ». Il faut avoir une lecture des droits culturels comme un espace qui permettrait de reconsidérer notre société, nos modes de vie et nos relations : arrêtons de raisonner en termes de démocratisation culturelle.
– Dans certaines collectivités, la question des droits culturels a toujours été remise à plus tard. Les droits culturels sont une question au présent : que faisons-nous maintenant ? Cela interroge nos capacités à remettre en question nos modèles : la formation des personnes qui travaillent aux politiques publiques est nécessaire pour gagner en légitimité à le faire.
– Les droits culturels sonnent comme une évidence pour les arts de la rue qui sont depuis l’origine hors les murs, hors les cadres officiels, pour aller au-devant des personnes parfois même en faisant avec eux. Les droits culturels permettent de re-questionner ce que nous faisons. Se jouent à la fois le futur des politiques publiques comme la nécessité de retrouver le pacte républicain oublié : les valeurs fondamentales des droits de l’homme, la liberté, l’égalité et la fraternité.
# Philippe Teillet : synthèse des propos tenus suivant les postures
– Se repositionner dans un environnement, une histoire des politiques publiques, des institutions, des façons de faire : qu’apportent les droits culturels dans un milieu complexe ?
– Questionner la notion d’égalité et d’égalisation : les droits culturels seraient une autre manière de problématiser les rapports d’égalité ?
– Remettre en question les politiques culturelles héritées : les droits culturels sont-ils une menace pour cet héritage ou au contraire l’actualisent-ils pour lui donner un avenir ?
# Ajouts à la synthèse :
– Les droits culturels sont là pour lutter contre les formes d’aliénation culturelle. C’est de cette aliénation dont il faudrait parler.
– Les droits culturels sont importants pour interroger les identités et leurs dynamiques multiples. Nous sommes en train d’essayer et peut-être d’une nouvelle manière, de lutter contre quelque chose qui n’est pas nouveau : les formes d’assignations à résidence culturelle.
– Peut-être qu’il y aurait à interroger l’absence des acteurs de l’éducation, qu’elle soit formelle, institutionnelle ou populaire, dans les débats sur ces questions.
# Patrice Meyer-Bisch : la notion de « diversité »
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ÉCHANGES
– Mettre en lumière la « coopération », terme prégnant dans les droits culturels : c’est à la fois sortir de la logique de « réseau » pour aller vers la prise en compte des trajectoires des personnes, ouvrir du possible, sortir des assignations et des pratiques toutes constituées pour penser cette multiplicité des désirs.
– La question juridique est inspirante pour appréhender les droits culturels : ce n’est pas seulement une question de procédures juridiques, de formalisation et de décrets d’application. C’est une question de contenu qui ouvre aux questionnements sur ce que sont les droits culturels et sur l’instrumentalisation qui peut en être faite. Qu’est-ce que créé le « droit culturel » comme norme pour la société ? Qu’est-ce qui légitimerait que nous soyons obligés de changer nos pratiques ? Qu’est-ce qui fonde la légitimité de l’injonction que pose la notion de « droit » ?
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# Patrice Meyer-Bisch : la volonté politique est notre volonté à tous
La base de la démonstration politique des droits culturels est le renversement des postures de travail : il s’agit de passer de l’approche basée sur les besoins pour se saisir d’une approche basée sur le développement des capacités. Il semble que ce soit la clé du travail de l’action publique.
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# Patrice Meyer-Bisch : les droits correspondent à des capacités et non à des besoins
Le mot « œuvre » n’a plus de sens : le nivellement par le bas passe par le fait que l’œuvre n’a plus d’importance, nous venons voir des « stars ». La référence est le succès et non l’œuvre elle-même. Qu’est-ce qui fait une « œuvre » ? Une œuvre pose une question ou à un regard sur une question.
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# Patrice Meyer-Bisch et Philippe Teillet sur la notion d’œuvre
– Le problème des droits culturels se trouve dans leur traduction politique. Comment les sociétés s’organisent-elles pour faire vivre ces droits ? Le contexte actuel est troublant puisque nous avons l’impression que tout se résout par le principe de subsidiarité. Or, dans la pratique, le principe de subsidiarité peut être synonyme de désengagement.
Nuances à avoir : la lecture territoriale, notamment par rapport à l’art. 103 de la loi NOTRe, devra se faire au regard des « transferts » ou « liens » qui s’établissent entre les différents niveaux de collectivités territoriales. Les modèles anciens sont remis en question et nos politiques culturelles font fi de toutes modalités d’évaluation. Les droits culturels questionnent sur ce que nous voulons évaluer et comment.
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# Philipe Teillet : Les droits culturels transforment-ils le rapport des citoyens aux politiques publiques ?
– Les droits culturels questionnent de manière très opérationnelle : ils sont des principes mais aussi des manières de faire. Le droit de participer à la vie culturelle par exemple est peu outillé mais il s’agit de s’interroger au quotidien sur la manière dont les personnes sont actrices dans les projets, sur nos propres postures. Référence à Joëlle Zask, philosophe, pour la déclinaison qu’elle propose du verbe « participer » : « prendre part », « apporter une part » et « bénéficier d’une part ».
– La participation peut se traduire par les liens entre amateurs et professionnels : pour certains syndicats, mélanger amateurs et professionnels, c’est retirer du travail aux professionnels. Nous avons besoin d’un positionnement des collectivités territoriales et de l’Etat sur ce point pour que les rencontres amateurs/professionnels continuent d’exister. Cela fait partie de la mise en œuvre des droits culturels.
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# Philippe Teillet : le débat sur la participation ouvre au débat sur la « création »
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CHANTIER CRÉATION AU REGARD DES DROITS CULTURELS
# Christelle Blouët : présentation du chantier d’analyse de processus de création au regard des droits culturels.
Deux témoignages d’acteurs, parties-prenantes de ce chantier :
« Je tente d’analyser un processus de création où nous mélangeons la danse, la gastronomie, la musique et l’image vidéo. Toutes les répétitions du spectacle ont été publiques. Le public est associé aux questionnements et ce, sur plusieurs territoires simultanément. La Compagnie engagée a une forte réputation pour mettre en place des projets d’action culturelle qui associent les personnes en difficulté. Pour ma part, j’essaie de lutter pour dire que « l’action culturelle » n’existe pas. Je n’emploie pas le mot « atelier » parce que je considère qu’il y a de la création artistique et dans cette création artistique, nous travaillons avec les gens. Pour moi, le travail sur les droits culturels pourraient aussi m’aider à affermir cette position pour ne plus que soient mis d’un côté les artistes qui créent et de l’autre des artistes qui ne créent pas ou qui arrêtent de créer pour travailler avec les gens ».
« Mon intérêt à décrire un processus de création se situe d’une part dans la méthode d’analyse au regard des droits culturels qui invite à se poser de multiples questions comme : qui participe et qui ne participe pas ? Qu’est-ce que nous faisons et qu’est-ce que nous ne faisons pas ? D’autre part, l’intérêt se situe dans la perspective de transformation sociale – en lien avec les termes énoncés de « domination » et « aliénation ». Il y a deux dominations contre lesquelles je voulais lutter en essayant d’expliciter un procès de création : d’une part, lutter contre la mainmise de la culture par les artistes par le fait même d’associer dans les analyses des processus de création artistique et des processus de création scientifique. Ils ne sont pas si différents que cela ce qui permet de démystifier la création artistique. Peut-être faut-il essayer de moins confisquer, nous, artistes ou membres de la politique culturelle au sens ministériel français du terme, les significations que les gens donnent à ce qu’ils font. D’autre part, lutter contre la domination des créateurs sur les œuvres : la création est un immense bricolage et ce n’est surtout pas seulement de la « création ». Il y a énormément de pratiques, de médiations, de recherches, d’administration qui permettent effectivement au bout du compte qu’il y ait une œuvre existante. La part immergée de l’iceberg est immense et nous avons tendance à l’oublier. Analyser un processus de création permet de travailler sur toutes ces questions-là »
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# Philippe Teillet : les droits culturels ne seraient pas une menace mais une force de changement
– Les droits culturels remettent en cause les catégories acquises et le système de feuilletage entre d’un côté ce qui serait « artistique » et de l’autre « culturel », y compris au sein des logiques ministérielles. Les opportunités qu’apportent les droits culturels sont de pouvoir dépasser cette opposition qui est au cœur de beaucoup des institutions. C’est un travail qui est en cours au sein du ministère de la culture mais il en va de la responsabilité de tous les acteurs : les institutions et les artistes ne sont pas dissociés de la façon dont l’Etat fonctionne.
– La question du relativisme a toujours été pensée du côté du négatif et a fait l’objet de polémiques interminables depuis l’époque Lang. Elles n’ont pas été dépassées. Dans « relativisme », il y a « relation » et donc « lien ». Dès lors qu’il y a lien, nous sortons de la logique de l’œuvre qui serait celle qui serait à admirer hors temps, hors sol. Pour autant, dire cela n’est pas la discréditer. C’est la mettre dans le lien, comme une ressource des liens. Ce lien est aussi à faire entre les acteurs, les institutions, l’Etat comme une opportunité pour redessiner un horizon commun ».
– La question des croisements des politiques est importante. Notre rôle d’acteurs culturels est d’être à l’écoute des évolutions du monde et de s’ouvrir aux dynamiques disciplinaires et interdisciplinaires. La diversité est à l’œuvre quand nous cessons d’imaginer sauver le monde en imposant une vision.
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# Philippe Teillet / Christelle Blouët / Patrice Meyer-Bisch : « La transversalité de la culture : développer une démarche pour travailler le socle commun des fondamentaux et la dimension culturelle de tous les droits de l’homme »
– La musique est une discipline où la circulation du sens est très spécifique : comment faisons-nous « récit » sur l’expérience musicale par rapport à d’autres disciplines où la langue est engagée ? Parfois l’expérience musicale peine à trouver ses mots pour se dire et se partager. Du fait de cet embarra, nous allons vers des moyens qui ont fait leur preuve à une époque sans forcément les remettre en question : nous restons les yeux rivés sur une œuvre à laquelle nous sommes plutôt convoqués à l’admiration sans considérer son vivant. Le patrimoine musical a cette difficulté à se réinventer, se ré-actualiser, se ré-interpréter. Cela ne concerne pas forcément l’acte artistique en lui-même mais plutôt le récit qui l’accompagne. Nous peinons à dissocier la dimension d’exigence d’avec la dimension des usages qui sont eux-mêmes hérités de pratiques anciennes.
– Développer la critique : l’expérience de l’admiration suppose une entrée dans l’ouvrage par la connaissance. On ne peut pas non plus estimer qu’il y a œuvre parce que certains ont décidé que c’était une œuvre. L’œuvre peut être remise en cause : le respect ne s’impose pas de soi. Il faut reformuler en quoi il y a œuvre parce qu’il y a questionnement. Les droits culturels peuvent être respectés par « l’accès aux œuvres » dans ce qu’elles ont de plus riches à proposer en termes de relations publiques mais aussi par le fait d’établir des rapports aux œuvres qui ne soient pas écrasants, c’est-à-dire qu’il y ait une capacité de critique. La critique ne se résume pas à la pleine puissance du sujet disant simplement « pour moi ça ne vaut rien » ou cliquant sur « like ». Il y a ici un réel espace de travail concret dans les structures culturelles autour de ce rapport à l’œuvre proposant une expérience d’admiration mais aussi une capacité à avoir un positionnement critique…
# Patrice Meyer-Bisch : la liberté d’expression comme matière 1ère du culturel
– Qu’est-ce qui authentifie l’œuvre comme œuvre ? La question de l’authentification de l’œuvre est prise dans un récit communautaire global qui a inscrit une histoire, l’origine de l’œuvre, sa construction etc. et donc qui ne peut pas être le fait d’une personne isolée…
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# Patrice Meyer-Bisch : les droits culturels comme droits de dire
– La société civile est absente de la construction des politiques publiques. Il y a un dialogue nécessaire entre les 3 univers que sont la société civile, le public et le privé. La notion de diversité est essentielle pour saisir les multiples croisements possibles.
– Nous pouvons être porteurs de savoirs dans un domaine et être incultes dans un autre – c’est là que se trouve la diversité. Il est alors nécessaire de se relier, d’avoir des récits. Mais avec les récits nous courons également le risque de la prescription et des rapports asymétriques.
– Nous ne nous poserions pas la question de la présence ou de l’absence de la société civile si les institutions marchaient bien : nous sommes de la société civile quand nous nous déplaçons de nos rôles et fonctions, lorsque nous sommes dans la rue, curieux pour découvrir telle et telle chose. C’est nous que nous devons questionner sur nos comportements et façons d’aller chercher les savoirs.
– Il y a une méconnaissance sur les droits culturels. Les droits culturels ne sont pas un commun, c’est un champ lexical qui nous arrive et auquel nous ne sommes pas habitués : faudrait-il s’approprier ce champ lexical pour en faire un langage commun avec les différents partenaires rencontrés dans nos pratiques ? Est-ce que cela ouvre d’autres champs que nous n’avions pas encore explorés ? Quoiqu’il en soit avec cette institutionnalisation des droits culturels que représentent la loi NOTRe et la loi CAP : comment aujourd’hui pensons-nous les outils à disposition tant des institutions que des labels pour évaluer le travail de terrain au regard des droits culturels ?
– Ce travail est en train de se faire : il y a un certain nombre d’éléments de vocabulaire des droits culturels qui sont repris dont nous ne pouvons dire qu’ils sont cohérents avec l’ensemble de la rédaction de la Loi parce que malheureusement cette rédaction est le fruit d’énormément de compromis… Pour une loi, cela est normal. Mais il y a les arrêtés qui eux se construisent de façon beaucoup plus partagée avec les partenaires sociaux, avec le Ministère, soumis devant le Conseil des collectivités territoriales, donc il y a un travail collectif qui est fait autour de cela et qui prévoit une évaluation reprenant grosso modo les éléments de la Charte Trautmann sur les responsabilités culturelles, professionnelles, territoriales et artistiques. C’est dans la pratique que cela va se jouer : est-ce que nous allons vers une évaluation partagée ? Participative ? Continue pour permettre de reformuler les objectifs au fil du temps ? Nous ne pouvons pas savoir ce sur quoi cela va aboutir mais nous pouvons dire que le travail est en cours.
# Christelle Blouët : les droits culturels se traduisent dans les pratiques seulement si les acteurs eux-mêmes s’en saisissent.
– Engagé dans la démarche Paideia en tant que médiateur culturel financé par le Département du Nord, j’ai analysé un projet qui croisait un groupe de femmes en démarche d’insertion et des ateliers de pratiques artistiques. L’analyse montre à la fois la limite de l’action et les potentialités qui sont ouvertes pour que la question de la citoyenneté de ces femmes puisse être reconnue de manière pleine. L’analyse montre d’une part la logique de discrimination dont ces femmes peuvent être victimes et d’autre part le travail à faire pour considérer ces femmes comme citoyennes d’un territoire avec le droit d’intervenir. Cela modifie complètement le regard, les analyses le déplacent. Autre élément encore : il y avait beaucoup de choses qui étaient pour moi de l’ordre de l’ « intuitif » qui, à la lumière des droits culturels sont devenues de l’ordre de l’ « obligation » : il était devenu obligé d’aller vers une action qui déploie la citoyenneté des personnes impliquées, non plus une action « sociale » ou une action « culturelle ». C’était une vision plus élargie.
– Dépasser la bipartition entre les musiques classiques et les musiques actuelles : il y a des diversités musicales et à l’intérieur de chacune, il y a des interprètes avec des pratiques multiples. On ne peut pas assigner une personne à un seul genre. Nous sommes pris dans des logiques institutionnelles de catégories qui piègent et qui ne permettent pas de prendre en compte les trajectoires personnelles, donc toutes ces capacités à entrer en relation. Sortons des corporatismes, des catégories trop institutionnalisées pour retrouver les musiques que chaque personne pratique, aime, écoute.
– L’usage des technologies numériques change notre rapport à la création et les relations sociales. Le champ de la pratique indépendante est facilité par les usages des technologies numériques, que ce soit l’apprentissage, la transmission, l’expression, la création.
– L’éclectisme des goûts et des sensibilités artistiques : c’est une ouverture forte. Le numérique permet de naviguer d’un espace à un autre, d’un univers à un autre. Dans la profession, cela fait débat, il ne faut pas le cacher. Cela change les représentations et fait bouger les frontières.
– Les institutions ne sont pas décloisonnées notamment dans les collectivités. La difficulté est de travailler avec d’autres que nous-mêmes, quel que soit le niveau hiérarchique. Les droits culturels bousculent hiérarchies et cloisonnements. Nous pouvons penser aux schémas départementaux de l’EAC : c’est chercher à associer tout le monde, pas seulement le directeur de l’école de musique ou du conservatoire, les parents dans le meilleur des cas… Il s’agit d’ouvrir les réflexions beaucoup plus largement pour nourrir un schéma qui va s’élever et qui va être beaucoup plus partagé. C’est un processus long, sur la durée, qui nécessite de la formation, des outils d’évaluation autres que seulement quantitatifs. Cela nécessite d’autres indicateurs.
– Un rapport complexe avec les acteurs sociaux : les acteurs sociaux sur le terrain disent « nous sommes obligés de nous occuper de la misère, nous n’avons pas le temps pour la culture », il a fallu réussir à enclencher un processus de dialogue pour qu’ils se rappellent que la culture c’est le travail social aussi ! Face à leurs difficultés majeures, ils n’arrivaient plus à s’intéresser à ce que nous pouvions proposer.
– Les acteurs du social du Département sont nos collègues mais nos politiques sociales sont extrêmement loin des habitants également ! Il faut tout repenser pour complètement renverser les perceptions. Nous avons du mal parce que nous sommes tous à s’accrocher à nos pré-carrés. C’est une révolution à faire.
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# Christelle Blouët : développer les droits culturels dans les politiques publiques, c’est développer la dimension culturelle d’une politique sociale au-delà de la collaboration avec les acteurs culturels
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# Philippe Teillet : on ne change pas la société par décret… la politique c’est du conflit avec des positions parfois inconciliables
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# Patrice Meyer-Bisch : les droits culturels ouvrent les espaces d’interprétation